Il existe selon moi 3 dimensions différentes dans la démarche médicale, en dehors de l'urgence vitale et de certaines contingences techniques, elles devraient s'appliquer de manière systématique et complémentaire.
1) La démarche scientifique : la raison doit être ce qui guide la démarche du médecin
La pratique médicale est avant tout un art qui repose sur l'observation clinique, l'analyse, l'examen, un certain nombre de connaissances confortées par l'expérience du praticien.
Le médecin peut utiliser un certain nombre d'outils scientifiques, d'examens complémentaires, afin de confirmer ou d'infirmer ses hypothèses cliniques, et ainsi d'affiner son diagnostic.
Vous connaissez tous cette fameuse citation de Rabelais (Pantagruel) : "science sans conscience n'est que ruine de l'âme." La science n'est qu'un outil entre les mains des Hommes, cela ne présage en rien de sa finalité, tant au niveau individuel que collectif.
2) Un approche individualisée : il y a la théorie et la pratique
La médecine est un art qui doit être utilisé au service exclusif du patient, conformément aux règles de base de la déontologie médicale :
« Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne, qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose » L'approche médicale est donc forcément une approche individualisée :
Individualisée en raison des qualités biologiques et physiologiques de la personne : l'âge, le sexe, les antécédents, les allergies, la fonction rénale, les contre indications, etc.
Individualisée en raison des causalités profondes des problématiques du patient : son histoire personnelle, l'enchainement des causes, le stade de sa maladie, sa forme, etc.
Individualisée en raison des attentes et des besoins fondamentaux relayés par le patient à une certaine période de sa vie, ses impératifs du moment.
Cette médecine individualisée permet de faire un compromis entre la réalité vécue par le patient, et les objectifs généraux théoriques fixés par la collectivité à une période donnée.
Elle permet aussi de mieux ajuster la conduite à tenir pour ce patient, c'est donc aussi une médecine plus précise et moins protocolaire.
3) Une vision intégrative : une médecine au service de l'Homme
La médecine intégrative consiste dans une approche globale de la personne : elle est donc centrée sur la personne et son projet thérapeutique, et non uniquement sur la maladie. Cette démarche est entreprise en collaboration avec le patient, celui ci est donc actif et partie prenante de la conduite à tenir visant à préserver ou à retrouver un état de bonne santé, ou tout au moins un état de santé acceptable : bien être, qualité de vie, autonomie.
La médecine intégrative utilise tous les outils thérapeutiques ayant démontré leur efficacité dans la préservation ou l'amélioration de l'état de santé. Elle ne se limite donc pas à l'allopathie classique, elle peut avoir recours à des méthodes plus naturelles, des compléments alimentaires, ou le recours à des professionnels de la santé.
Cette vision intégrative (ou holistique) est complémentaire des deux autres dimensions de la pratique médicale (scientifique et individualisée), elle n'y enlève rien, bien au contraire, elle y apporte un supplément d'âme. Elle permet d'éviter ainsi les attitudes parfois fatalistes souvent relayées par les patients : "il m'a dit qu'il ne pouvait plus rien faire pour moi, que ce n'était pas la peine de le revoir." Hors le médecin généraliste de terrain sait bien qu'il y a toujours quelque chose à faire, il suffit juste d'écouter le patient et de se fixer des objectifs raisonnables.
Conclusion :
Cette triple démarche médicale peut sembler paradoxale : considérer la personne dans sa globalité tout en la mettant au centre de la stratégie thérapeutique, en utilisant au mieux tous les outils scientifiques, toutes les disciplines de la santé. Ce paradoxe n'est qu'apparent, en effet, si on considère la vraie raison d'être du soignant, celle de guider les pas de la personne vers le chemin de la guérison, tout cela devient parfaitement cohérent.
La tendance actuelle consiste plutôt dans la mise en place d'une médecine très protocolisée, comme d'ailleurs la plupart des autres activités humaines en raison des progrès ultrarapides des technologies du numérique. L'intelligence artificielle, avec des algorithmes de plus en plus complexes, pourra demain effectuer de nombreuses taches autrefois attribuées à des humains. Cette évolution semble inéluctable, c'est en tout cas le pari que font la plupart des milliardaires dans le monde dont Elon Musk est le plus important représentant.
Cette tendance si elle se confirme, déplace le centre de notre attention vers des images, des chiffres, des sons, des statistiques, des objectifs théoriques, des planifications, des protocoles, et le patient sort de la conscience humaine et du langage. Les règles de base de l'art médical ont complètement disparu pour certains techniciens de la santé : la parole, le toucher, l'observation, l'examen clinique, tout cela semble être devenu obsolète ou réservé à une catégorie subalterne de la profession. Cette valorisation de la technique se retrouve d'ailleurs dans les rémunérations des professionnels de santé : celle ci est en général inversement proportionnelle au temps passé avec le patient, c'est très révélateur.
Nous sommes donc à la croisée des chemins, et l'enjeu sera dans le futur proche de parvenir à conjuguer cette évolution technologique avec la connaissance de l'art médical tel qu'enseigné autrefois par nos maitres dans les universités de France. Si nous n'y parvenons pas, j'ai bien peur que dans un futur proche, les médecins ne deviennent que des effecteurs de la machine, totalement dépendants du numérique. Hors, nous le savons bien, pour avoir déjà observé ce phénomène dans d'autres corps de métiers, les compétences qui ont été perdues sont très difficiles par la suite à retrouver, c'est un chemin irréversible.
Nous le savons, la plupart des maladies actuelles viennent de la disparition d'un mode de vie traditionnel au profit d'un mode de vie moderne. Nous savons aussi que la pollution de notre environnement rend notre monde hautement toxique, une pollution complexe, autant physique que morale. L'idéal serait donc selon moi de pouvoir conserver des savoirs et connaissances anciennes, tout en disposant à chaque fois que cela s'avère indispensable les progrès incroyables de la médecine moderne. Ce n'est pas le chemin qui semble pris pour l'instant, le transhumanisme semble exercer une certaine fascination d'une bonne partie des élites. Dans cette manière de percevoir le soin, l'Homme devient un objet comme un autre et évolue de manière inexorable vers la machine, pour lui ressembler de plus en plus.
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