Quelle est votre spécialité Docteur ?
C'est la première question que l'on me pose en général au sujet de mon travail à Irun, une question dont la réponse est loin d'être simple, et ce malgré les apparences. Cette question est révélatrice à mon avis d'une confusion, d'un faux clivage dans l'esprit de la population entre d'une part, une forme de médecine qui serait spécialisée dans le soin, et une autre forme de médecine plus ordinaire, non spécialisée. Selon moi, ce n'est pas la bonne question que les gens devraient se poser aujourd'hui, car au fond toutes les formes de médecine moderne se ressemblent et elles sont toutes plus ou moins spécialisées.
Ma spécialité reconnue est la médecine générale, on l'appelle aussi souvent la médecine de famille pour signifier que cela concerne toutes les tranches d'âges d'une part, et d'autre part pour signifier la place de ce médecin dans la société, dans les villages, dans les quartiers, au contact de la vraie vie des gens. C'est donc une médecine de proximité qui s'oppose à la médecine spécialisée et/ou hospitalière de second recours en général.
Mais cette première définition est très incomplète et elle est source de confusion.
Petit rappel historique, avant la médecine moderne très protocolisée que l'on connait aujourd'hui, la médecine ordinaire avait une approche globale de la personne humaine et utilisait principalement des remèdes naturels. La révolution industrielle fin du XIXème siècle a ensuite permis d'extraire des substances chimiques, les principes actifs des plantes, via des procédés techniques industriels. Mais il a fallut attendre le XXème siècle, entre les deux guerres mondiales, pour que ces substances chimiques deviennent vraiment des médicaments. La fondation de l'industriel Rockefeller a longtemps travaillé à la popularisation de ces médicaments, principalement en finançant les programmes universitaires et en aidant à réguler l'exercice de la profession médicale
Après la deuxième guerre mondiale, l'émergence de la pharmacopée chimique a connu une progression fulgurante avec des grands succès dans le traitement de certaines pathologies comme en matière d'infections (exemple la pénicilline). Parallèlement, l'amélioration de l'alimentation et de l'hygiène de vie ont permis d'éradiquer de nombreuses maladies en occident. Cette révolution de l'industrie chimique au XXème siècle, notamment avec l'expérience des deux grandes guerres, a apporté des progrès indéniables en matière de soins des maladies.
La médecine holistique correspond donc à une approche globale de la santé et de la personne en général, elle bénéficie des progrès scientifiques tout en conservant une certaine connaissance traditionnelle, elle fait le lien entre la médecine de la maladie et la médecine de la santé. Selon moi il n'existe pas d'opposition fondamentale entre ces deux manières de concevoir le soin, chacune possède ses avantages et ses inconvénients, ses indications et ses limites. L'idéal étant de pouvoir faire bénéficier au patient de la meilleure prise en charge à un moment donné afin de l'aider à conserver son état de bonne santé, et quand cela s'avère nécessaire, de pouvoir utiliser des moyens plus techniques ou plus urgents pour le soigner.
La médecine moderne permet par exemple de faire disparaitre les symptômes rapidement et sans le moindre effort pour le patient, avec un investissement financier et moral minimum. C'est ce que demandent la plupart des gens aujourd'hui, des recettes simples et rapides afin de pouvoir poursuivre leur train de vie quotidien. La médecine de la santé nécessite par contre un investissement plus important de la part du patient et du soignant, une recherche en profondeur de la causalité première de la perte de l'état de bonne santé, beaucoup de pédagogie, de la persévérance. Les résultats de ce travail en profondeur seront souvent plus tardifs, pas toujours, mais aussi et surtout plus durables dans le temps car ils impliquent la personne dans son ensemble, dans tout son être. C'est ce que recherchent de plus en plus de gens afin de retrouver un équilibre de vie et une certaine forme d'autonomie de leur santé, de cohérence interne.
La médecine holistique est donc une médecine qui est en lien avec le monde vivant qui nous entoure, un environnement qui peut contribuer à notre guérison ou à notre perte de bonne santé. La conscience de cette interdépendance avant d'être scientifique est intuitive, il suffit d'aller se promener en foret pour percevoir l'harmonie qui existe factuellement dans la nature. Le soignant doit donc utiliser tous les moyens à sa disposition, dans le strict respect de l'éthique, afin d'aider son patient à recouvrer son état de bonne santé et de bien être, de pleine énergie. Le médecin généraliste est à mon avis le mieux placé dans sa profession pour avoir cette approche globale au service de ses patients.
Le vrai clivage qui existe donc actuellement dans le domaine du soin, n'est pas entre médecins généralistes et les médecins spécialistes, mais entre les soignants ayant une approche holistique, globale, et les soignants ayant une approche plus réductrice, segmentaire. J'essaye pour ma part d'avoir une approche la plus globale possible, tout en conservant de bonnes pratiques scientifiques, dans l'intérêt exclusif du patient.
Docteur, avez vous une approche holistique de votre exercice ou pas ?
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